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La responsabilité pour dommages intermédiaires

Le 02 juin 2015
CA METZ, 3ème, 31 octobre 2013 (N°RG 11/00581)

La Cour d’appel de Metz a été amenée dans un arrêt du 31 octobre 2013 à se prononcer sur la responsabilité du constructeur et de son sous-traitant dans le cas où des désordres affectent une construction au niveau du lot carrelage.

Madame XAVIER a confié à la Société YVON la construction d’une maison individuelle.

C’est la société ZOE qui s’est vue attribuer le lot carrelage en sous-traitance de la société YVON.

Après réception des travaux, sans réserve en relation avec le désordre, Madame XAVIER a constaté que l’ouvrage était affecté de fissuration des carrelages du salon-séjour.

Cette dernière a alors saisi le Juge des Référés, lequel a ordonné une expertise le 3 août 2004.

Après dépôt du rapport, Madame XAVIER a saisi le Tribunal d’instance de THIONVILLE d’une demande tendant à voir condamner in solidum les sociétés YVON et ZOE au paiement d’une somme de 11 000,00 € en remplacement du carrelage, sur le fondement des articles 1792[1] et suivants du Code civil.

La question ainsi posée à la juridiction était de savoir si de tels désordres devaient être réparés sur le fondement de la garantie décennale édictée aux articles 1792 et suivants du Code civil ou bien, sur le fondement de la responsabilité contractuelle du constructeur, conformément à l’article 1147[2] du même code.

 

Par Jugement en date du 14 décembre 2010 le Tribunal d’instance de Thionville va rejetter l’application des articles 1792 et suivants du Code civil et débouter Madame XAVIER de toutes ses demandes au motif que les désordres sont exclusivement esthétiques et ne pourraient dès lors relever des dispositions de la garantie décennale.

Celui-ci ajoute que « les autres éléments d’équipement de l’ouvrage », c’est-à-dire ceux qui ne font pas indissociablement corps avec celui-ci, « font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception », que le carrelage constitue un élément dissociable et fait ainsi l’objet de cette garantie biennale qui en l’espèce, serait expirée.

Enfin, il argue de ce que la garantie biennale, ou garantie de bon fonctionnement des éléments d’équipement dissociables, étant exclusive, il ne peut être fait application de la responsabilité de droit commun.

Madame XAVIER interjette appel de cette décision et sollicite avant dire-droit qu’une contre-expertise soit ordonnée.

La Cour d’appel fait droit à cette demande et désigne un nouvel expert le 16 janvier 2012.

Ce dernier dépose son rapport définitif le 25 septembre 2012, par lequel il observe que les désordres n’ont évolués que sensiblement et constate qu’ils ne compromettent pas la solidité de l’ouvrage ni ne rendent l’immeuble impropre à sa destination.

En revanche ce dernier retient que les entreprises intervenues à la construction ont commis une faute dans l’exécution de leurs obligations, puisqu’il constate l’absence de chape de ravoirage, la pose d’un isolant non adapté, un temps de séchage insuffisant, l’absence de mise en chauffe avant pose du revêtement et une température ambiante inadaptée lors de la pose du revêtement de sol.

Pour justifier son appel, Madame XAVIER fait valoir que les désordres affectant le carrelage de son pavillon ne sont pas que purement esthétiques puisque les désaffleurements de ce carrelage présentent des risques sérieux d’accrochages et que la responsabilité des deux entreprises se trouve engagée selon les conclusions du second rapport d’expertise.

Elle affirme également à titre subsidiaire, que s’agissant de désordres évolutifs, la jurisprudence sur les désordres intermédiaires doit s’appliquer de sorte qu’elle est fondée à mettre en œuvre la responsabilité des deux entreprises sur le fondement de la responsabilité de droit commun en raison de leur manquement respectif à leurs obligations contractuelles.

 

Le 31 octobre 2013, la Cour d’appel de METZ va infirmer partiellement la décision de première instance et condamner in solidum les sociétés YVON et ZOE à réparer le préjudice de Madame XAVIER.

Tout d’abord, la Cour retient que l’action en responsabilité fondée sur la garantie décennale ne peut être retenue en l’espèce, puisqu’il a été constaté par les deux experts, que les désordres ne compromettaient ni la solidité de l’ouvrage ni ne rendaient l’immeuble impropre à sa destination.

Madame XAVIER invoquait pourtant un désaffleurement des carreaux qui générait un risque important de coupure pour les occupants, sachant qu’une telle argumentation a déjà été retenue par la jurisprudence dès lors qu’elle rend l’ouvrage impropre à sa destination (pour exemple : TGI METZ, 12 juin 2013, RG n°08/03644).

Dans le cas d’espèce, le juge n’a pas retenu ce moyen puisque les experts judiciaires n’avaient pas constaté ce phénomène de désaffleurement, ou tout du moins, le caractère tranchant des carreaux fissurés.

La Cour va ensuite écarter l’application de l’article 1792-2[3] du Code civil qui étend la présomption de responsabilité aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert.

Elle estime qu’en l’espèce, le carrelage n’est pas un élément d’équipement faisant indissociablement corps avec l’ouvrage.

Sur ce point, la jurisprudence est assez divergente.

Elle retient en effet, parfois, que le carrelage est indissociable de l’ouvrage quand sa dépose ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de ce dernier (Civ. 3ème, 25 Novembre 1998, pourvoi n°97-11.395 : JurisData n°1998-004546 ; CA Pau, Chambre 1, 3 Octobre 2012, n°12/3909,10/02685 : JurisData n°2012-032955 ; CA Angers, Chambre 1, section A, 13 Novembre 2000, n°98/02686 : JurisData n°2000-139054 ou encore CA Aix en Provence, Chambre civile 3, 4 Février 1999: JurisData n°1999-043332)

En revanche, lorsque le carrelage peut être déposé sans que ne soit détériorée la matière de l’ouvrage, la jurisprudence rejette catégoriquement l’application de l’article 1792-2 du Code civil (Pour exemple : CA Dijon, Ch. civile 1, 26 Septembre 2013, N° 12/00291).

Enfin, la juridiction d’appel écarte également l’article 1792-3[4] du Code civil au motif que le carrelage ne constitue pas un élément d’équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement.

En effet, la jurisprudence a précisé récemment que cet article ne s’applique que pour les éléments d’équipement qui « fonctionnent » c’est-à-dire qui peuvent être activés et désactivés et peuvent tomber en panne.

C’est le cas notamment des éléments du système de chauffage comme la chaudière, le ballon électrique d’eau chaude, les radiateurs ou encore des éléments électroniques comme un interphone.

A contrario, la Cour de cassation a précisé qu’un carrelage ne peut relever de la garantie de bon fonctionnement, celui-ci n’étant pas destiné à fonctionner (Civ. 3ème, 11 septembre 2013, pourvoi n° 12-19483).

En conséquence, les demandes de Madame XAVIER en réparation des désordres qui affectent le carrelage, ne peuvent être fondées, avant comme après réception, que sur la responsabilité contractuelle de droit commun édictée à l’article 1147 du Code civil.

 

C’est sur ce dernier point, que la Cour d’appel a décidé d’infirmer la décision de première instance, puisqu’elle écarte l’application de la garantie de bon fonctionnement pour retenir la responsabilité du constructeur sur le fondement de l’article 1147 du Code civil.

Ainsi, c’est sur cette responsabilité de droit commun que la Cour d’appel de METZ, condamne le constructeur ainsi que son sous-traitant à réparer le préjudice de Madame X, la preuve d’un manquement de chacune des entreprises intervenues à la construction à leurs obligations contractuelles respectives ayant été rapportée par l’expert.

Cet arrêt d’espèce est rendu dans la veine des décisions prononcées par la jurisprudence en la matière.

En effet, suite à un arrêt de principe de 1978, (Civ., 10 juillet 1978, bull. cass. no 285, p. 220), la jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises cette application de la responsabilité de droit commun « des dommages intermédiaires » à des désordres affectant la construction après réception et qui ne sont pas de nature décennale, ou ne relèvent pas de la garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d’équipement dissociables (Civ. 3ème, 13 février 2013, pourvoi n° 11-28376 ; Civ. 3ème, 4 novembre 2010, pourvoi n° 09-12.988).

La théorie des dommages intermédiaires, concerne tout dommage qui affecte l’ouvrage au cours des dix années qui suivent la réception et cependant ne compromette pas la solidité ni celle de ses éléments d’équipement indissociables et n’est point de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination.

La distinction dans l’application de ces garanties réside notamment dans le mode de preuve, puisque pour la responsabilité décennale, il n’est pas nécessaire de prouver la faute des auteurs d’une construction, c’est une présomption de responsabilité, alors que, pour les dommages intermédiaires, le constructeur d’un ouvrage ne peut voir sa responsabilité engagée que pour les dommages qu’il a causés de par sa faute et qui sont démontrés par le maître de l’ouvrage.

 

Il est surprenant d’observer que la juridiction d’appel a condamné, en l’espèce, le sous-traitant au même titre que le constructeur alors qu’aucune relation contractuelle n’existait entre celui-ci et le maître de l’ouvrage.

En effet, la responsabilité du sous-traitant ne peut être engagée qu’en application des articles 1382 et suivants du Code civil puisque « le sous-traitant n'est pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage » (Ass. Plén. 12 juillet 1991, pourvoi n° 90-13602).

Cependant, aucun pourvoi en cassation n’a été formulé contre cette décision.



[1] « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. »

 

[2] « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

[3] « La présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert. Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage. »

 

[4] « Les autres éléments d'équipement de l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception »