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Sur la responsabilité d’une commune ayant entrepris la réalisation de travaux pour le compte de riverains

Le 01 février 2017
Jugement du Tribunal de grande instance de METZ du 20 janvier 2016

Monsieur et Madame C. sont propriétaires d’un immeuble situé dans la commune de P.

 

Cette dernière, souhaitant entreprendre des travaux d’aménagement de la rue des consorts C., consistant essentiellement en un renouvellement du réseau d’assainissement et en une réfection de la chaussée, a proposé aux riverains la cession d’une bande de terrain pour l’euro symbolique et, en contrepartie, s’est engagée à réaliser les travaux au droit des propriétés des riverains.

 

Ces travaux devaient consister, concernant Monsieur et Madame C., en la démolition de l’ancien mur situé en limite de propriété et en la création d’un nouveau mur, lequel est un mur de soutènement des terres, situé en pied de talus.

 

La commune a, de sa seule initiative, confié la réalisation des travaux à la SARL S.

 

Bien que les actes de cession n’aient pas été régularisés, les travaux ont été entrepris.

 

Or, il s’avère que les travaux ont été réalisés en contradiction totale avec les règles de l’art.

 

Les travaux ayant été entrepris par la commune dans le cadre de travaux d’aménagement de la voirie, Monsieur et Madame C. ont considéré qu’il s’agissait de travaux publics et ont saisi le Juge des référés du Tribunal administratif de STRASBOURG aux fins de voir ordonner une mesure expertise.

 

Aucune des parties n’ayant soulevé l’incompétence du Tribunal administratif, il a été fait droit à la demande Monsieur et Madame C. par ordonnance en date du 21 janvier 2008, Monsieur S. ayant été désigné en qualité d’expert.

 

Monsieur S. a déposé son rapport d’expertise définitif le 01er septembre 2009, rapport au terme duquel il a retenu que :

-          Les fondations du mur litigieux n’étaient pas hors gel,

-          La semelle filante, sous le mur, n’avait pas les dimensions requises pour assurer sa stabilité sous les effets des poussées des terres, de sorte que le mur glissait et se renversait,

-          Les armatures verticales du mur étaient situées à mi épaisseur et, dès lors, s’avéraient inefficaces,

-          Les armatures horizontales n’étaient pas correctement positionnées,

-          Le drainage était inexistant.

 

L’expert a précisé que l’ouvrage, non achevé, constituait un danger pour la sécurité des personnes.

 

S’agissant des travaux de reprise, l’expert a préconisé de démolir le mur existant et d’en reconstruire un nouveau, le coût de réalisation d’un ouvrage neuf étant inférieur à celui d’un confortement.

 

Il a ainsi estimé le coût des travaux de reprise à la somme de 63 021,07 €, étant toutefois précisé que, compte-tenu de l’ampleur des désordres, Monsieur et Madame C. avaient mandaté un métreur vérificateur, lequel, après s’être adjoint les services d’un bureau d’études béton armé, avait chiffré les travaux de reprise à la somme de 81 668,68 €, outre les frais de maîtrise d’œuvre.

 

Dès lors, par requête du 08 juin 2010 présentée par devant le Juge des référés du Tribunal administratif de STRASBOURG, Monsieur et Madame C. ont sollicité l’octroi d’une provision, faisant valoir que des travaux d’urgence devaient être réalisés et sollicitant à titre principal une provision de 90 000,00 € et à titre subsidiaire, une provision de 63 000,00 €.

 

Par ordonnance du 10 novembre 2010, une provision d’un montant de 30 000,00 € a été allouée à Monsieur et Madame C., mise à la charge solidairement de la commune et de la SARL S.

 

Monsieur et Madame C. ont interjeté appel de cette décision et, par arrêt du 21 septembre 2011, la Cour administrative d’appel de NANCY a, contre toute attente, retenu :

« que d’une part, cet accord conclu entre la commune et les requérants n’a pas le caractère d’un contrat administratif ; que, d’autre part, les travaux de construction dudit mur par la commune de P. pour le compte des consorts C. n’ont pas été réalisés dans le cadre d’une mission de service public et n’avaient dès lors le caractère de travaux publics ; qu’enfin, la circonstance que la commune a conclu un marché public avec la société S. pour la réalisation des travaux est sans incidence sur la nature des relations entre la commune et les époux C. ; que, par suite, l’action engagée par ces derniers contre la commune de P. ne relève manifestement pas de la juridiction administrative ; que le litige entre les époux C. et la société S., personne de droit privé, relève de la compétence de la juridiction judiciaire »

 

Dans ces conditions, Monsieur et Madame C. ont saisi le Tribunal de grande instance de METZ d’une demande au fond dirigée à l’encontre de la commune de P. et de la SARL S.

 

Le Tribunal a statué selon jugement en date du 20 janvier 2016.

 

 

* * *

 

Sur la responsabilité de la commune,

 

En premier lieu, le Tribunal a retenu que « la Commune de P., en contrepartie de l’achat de la bande de terrain nécessaire à l’aménagement de sa voirie, [ayant] promis de faire construire le nouveau mur de la propriété C », « les relations des parties s’analysent dès lors en un « quasi-mandat », contrat liant les époux C. et la Commune de P., régi par les règles du mandat, mais exclusif de toute représentation et donc, de toute relation contractuelle avec la SARL S. »

 

Le mandataire répondant de ses fautes de gestion, conformément à l’article 1992 du Code civil, la responsabilité contractuelle de la commune a été retenue, aux motifs que :

-          « le mur promis n’a pas été édifié conformément aux règles de l’art »,

-          Et que la commune, prévenue de l’existence des désordres avant même que soit sollicitée l’organisation d’une mesure d’expertise, n’a proposé aucune solution de reprise acceptable et n’a pas davantage mis en demeure la SARL S. d’intervenir, laissant en l’état un mur manifestement dangereux.

 

 

Sur la responsabilité de la SARL S.

 

Le Tribunal ayant retenu l’existence d’un « quasi-mandat » entre les consorts C. et la commune, contrat exclusif de toute représentation, la responsabilité délictuelle de la SARL S. a été retenue, au motif qu’elle « se devait […] d’intervenir de façon appropriée sur leur propriété, y édifier un mur conforme aux règles de l’art et en tous les cas, ne présentant aucun danger pour eux ou pour autrui ; que l’expertise est éloquente sur la qualité du mur construit ; que la SARL S. ne peut sérieusement disconvenir de sa faute et du dommage causé aux époux C., tenus maintenant de faire détruire et reconstruire le mur selon les règles de l’art pour un coût non négligeable et empêchés de jouir complétement de leur jardin. »

 

 

Sur la réparation du préjudice,

 

Après avoir rappelé que l’expert judiciaire avait estimé  le coût des travaux de reprise à la somme de 63 021,07 €, le Tribunal lui a reproché de ne pas avoir donné « de détails ni de références à ce chiffrage ».

 

Il a ainsi retenu le chiffrage proposé par les époux C., reposant sur un mémoire de travaux établi par un métreur vérificateur, dont il a toutefois déduit :

-          La somme de 4 445,00 € « au titre d’un enduit dont l’expert indique qu’il n’est pas conseillé du fait que l’enduit adhère difficilement à un parement béton »,

-          Et la somme de 1 563,00 € « au titre des enrobés denses pour lesquels monsieur S. explique que les enrobés font partie de l’aménagement des voiries ».

 

Le Tribunal a ainsi chiffré les travaux de reprise à la somme de 74 476,11 €, outre 5 213,33 €  (7 %) au titre des frais de maîtrise d’œuvre, soit un total de 79 689,44 €, somme au paiement de laquelle ont été condamnées solidairement la commune de P. et la SARL S.

 

Enfin, Monsieur et Madame C. se sont vus octroyer la somme de 1 950,00 € au titre de leur préjudice de jouissance.

 

 

* * *

 

L’apport essentiel de ce jugement consiste en ce que le Tribunal a écarté le chiffrage des travaux de reprise tel que proposé par l’expert judiciaire, dès lors que celui-ci n’était ni détaillé, ni explicité et ne reposait que sur les estimations de ce dernier.

 

Dès lors, le Tribunal a retenu le chiffrage réalisé par le métreur vérificateur, lequel est nécessairement détaillé et établi après mesures et études.

 

Il en résulte que le Tribunal ne se contente pas d’une simple estimation à dire d’expert et ne condamnera, à l’avenir, que sur la base d’un chiffrage circonstancié, préférant de fait les devis ou les mémoires de maîtres d’œuvre aux simples estimations.

 

Afin d’uniformiser cette méthode, il apparaît dès lors nécessaire d’exiger des experts, dans le cadre de la mission d’expertise, qu’ils se fassent communiquer de tels devis et mémoires afin d’établir leur chiffrage.