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Sur la responsabilité du propriétaire de l’immeuble mitoyen affecté de désordres en cas de trouble anormal du voisinage

Le 20 juin 2017
TGI, Metz, 1ère chambre civile, 14 septembre 2016, n°13/03856


Un immeuble A, en copropriété, est mitoyen de l’immeuble B, propriété de Monsieur K.
 
Plusieurs infiltrations, puis d’importantes fissures ont été constatées dans l’immeuble A, ce qui a conduit le syndicat des copropriétaires (SDC) dudit immeuble à saisir le Juge des référés aux fins de voir mener une expertise judiciaire des désordres. Une ordonnance du 12 avril 2005 a désigné un Expert qui a déposé son rapport en date du 28 septembre 2011.
 
Celui-ci a notamment retenu une désolidarisation dans la cage d’escalier, des emmarchements et paliers avec le mur pignon, ainsi qu’une fissure traversante à la liaison du mur de façade sur rue avec le même mur pignon. Il a précisé que les désordres étaient suffisamment graves pour justifier la mise en place d’étais afin de maintenir les paliers en place les uns par rapport aux autres, puisque la solidité de l’immeuble A est nettement compromise.
 
Enfin, il qualifie le désordre de « trouble de voisinage » dont la cause réside dans un affaissement du pignon opposé de l’immeuble B mitoyen, et entraine dès lors la responsabilité de son propriétaire.
 
Suite à ces conclusions, le SDC de l’immeuble A a assigné Monsieur K., propriétaire de l’immeuble B voisin, devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Metz, qui a statué selon jugement en date du 14 septembre 2016.
 
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Le SDC de l’immeuble A a sollicité du Tribunal que Monsieur K. et son assureur soient condamnés pour les divers préjudices engendrés par les désordres constatés par l’Expert, à savoir notamment le coût des travaux urgents déjà réalisés (mais provisoires) afin de renforcer l’immeuble A, ainsi que le préjudice de jouissance engendré par de tels désordres remettant en cause la sécurité des habitants.  Le SDC a également émis le souhait qu’ils soient condamnés à exécuter les travaux préconisés par l’Expert, à savoir une stabilisation de l’assise de l’immeuble B afin que les travaux indispensables sur l’immeuble A soient rendus possibles.
 
Pour tenter de se défaire de sa responsabilité, Monsieur K. conteste les conclusions de l’Expert au motif notamment que les désordres affectant l’immeuble A n’ont rien à voir avec l’immeuble B dont la stabilité serait parfaitement acquise, d’après lui, mais également que l’Expert n’aurait pas respecté le principe du contradictoire.
 
Dans le présent jugement, le TGI retient qu’il existe un incontestable trouble anormal du voisinage qui résulte des désordres précités, et condamne in solidum Monsieur K et son assureur.

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Il convient de rappeler les termes de l’article 544 du Code civil qui dispose :
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
 
Ce texte est complété par le principe général posé par une jurisprudence constante selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Cass., Civ. 2e, 19 novembre 1986, Bull. 1986, II, n° 172, pourvoi n° 84-16.379 / Cass., Civ. 3e, 13 avril 2005, Bull. 2005, III, n° 89, pourvoi n° 03-20.575).
 
A noter également que « le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage » sans qu’il soit nécessaire de prouver l’existence d’une faute pour obtenir réparation du dommage résultant du trouble du voisinage (Cass., Civ. 3e, 4 février 1971, Bull. civ. III, n° 78 et 80).
 
Il a notamment été jugé que « l’état de délabrement du mur est tel que le danger qui en résulte constitue en soi un trouble anormal pour le voisin » (CA, Angers, 11 septembre 2012, n°11/0139), mais également que des travaux de démolition qui étaient la cause principale des désordres affectant le mur mitoyen, menacé de ruine et atteint dans sa solidité, constituait un trouble anormal du voisinage (Cass., Civ. 3e, 24 mars 2016 – n° 14-19.946).
 
En effet, la responsabilité résultant des troubles de voisinage est une responsabilité qui n’exige pas la preuve d’une faute mais celle de l’anormalité du trouble.  Deux hypothèses sont à distinguer :
  • Le trouble est causé par l’activité du chantier de construction d’un immeuble voisin: dans ce cas, c’est très souvent le maître d’ouvrage qui est tenu pour responsable puisqu’à l’initiative de la construction, mais il est possible que l’entrepreneur soit également condamné en tant que « voisin occasionnel » (Cass., Civ. 3e, 11 mai 2000, Bull. civ. III, n° 106) ou encore « gardien du chantier ». En pareils cas, il existe une jurisprudence assez variable en fonction des situations.
 
  • Le trouble est causé par l’immeuble voisin après sa construction, ce qui est le cas dans le présent jugement. Dans cette hypothèse, la responsabilité pèse incontestablement sur le maître de l’ouvrage ou sur ses ayants cause en leur qualité de propriétaires. Les constructeurs ne pourraient éventuellement être poursuivis soit par celui qui subit les désordres, soit être appelés en garantie par le propriétaire de l’immeuble à l’origine des désordres, dans le délai de 10 ans.
 
Dans la présente décision et compte tenu du rapport d’expertise judiciaire, c’est dès lors Monsieur K., propriétaire de l’immeuble B, duquel résultent les désordres sur l’immeuble A, qui est déclaré responsable.
 
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Ce jugement du TGI de Metz se place dans un courant jurisprudentiel constant, dans lequel le propriétaire d’un immeuble mitoyen est responsable du fait des désordres causés par son propre immeuble et engendrant un trouble anormal du voisinage.
 
L’anormalité du trouble est ici caractérisée par la persistance des désordres constatés et bien entendu, leur importance, puisque la présence continue d’étais dans la cage d’escalier est nécessaire pour parer un risque important d’effondrement.
 
L’immense avantage de cette notion de trouble anormal de voisinage vient de ce que le voisin victime (le propriétaire, un copropriétaire, voire un locataire) n’a pas besoin de démontrer la faute du voisin auteur du trouble. La responsabilité de ce dernier est une responsabilité de plein droit dont il ne peut pas se dégager en prouvant qu’il n’a commis aucune faute (Cass., Civ. 2e, 10 novembre 2009, n° 08-19.665 / CA, Nîmes, Civ. 2e, sect. A, 6 octobre 2016, n° 15/04015, JurisData n° 2016-029408).
 
Il convient cependant de préciser qu’appel a été interjeté par les défendeurs, et que la présente décision reste pour l’heure, provisoire.