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Cas pratique sur la remise en cause de l’unicité de la réception

Le 21 mars 2014

Monsieur et Madame DÉDALE ont fait construire une maison individuelle et ont confié le lot Gros Œuvre à la société VAUBAN, le lot Charpente/Couverture à la SARL MANSART, le lot Plâtrerie à la société GAUDI et le lot Chauffage à l’entreprise SOUFFLOT ; les maîtres d’ouvrage s’étant par ailleurs réservés les lots Carrelage et Papier peint/Peinture.

 

Chaque lot a fait l’objet d’un procès-verbal de réception à une date différente, à savoir :

-          Lot Gros Œuvre en septembre 2009

-          Lot Charpente/Couverture en novembre 2009

-          Lot Plâtrerie en janvier 2010

-          Lot chauffage en février 2010.

 

Monsieur et Madame DÉDALE ont entamé les travaux des lots Carrelage et Papier peint/Peinture en mars 2010 et ont pris possession de leur maison d’habitation en date du 1er juillet 2010.

 

Quelle est la date de réception des travaux ?

 

Il convient de rappeler que le délai de la garantie décennale commence à courir à partir de la réception des travaux.

 

La réception est définie à l’article 1792-6 du Code civil comme étant l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves.

 

Elle peut également intervenir de manière tacite, devant dès lors résulter de la prise de possession de l’ouvrage manifestant une volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage (Cass., Civ. III, 14 janvier 1998, n° 96-13.505, JurisData n° 1998-000283).

 

La cour d’appel de NANCY retenait que « l’article 1792-6 du Code civil fait état de la réception d’un ouvrage en général, ce qui exclut toute réception par lots » (CA NANCY, Com., 18 décembre 2002, n° 01/03107, JurisData n° 2002-198709).

 

Le principe de l’unicité de la réception semblait faire l’unanimité jusqu’à un arrêt par lequel la Cour de cassation est venue affirmer que « la réception partielle par lots n’est pas prohibée par la loi » (Cass., Civ. III, 16 novembre 2010, n° 10-828, 1360, JurisData n° 2010-0215550).

 

Cette solution a été confirmée par un deuxième arrêt de la même chambre de la Cour de cassation qui a cassé l’arrêt d’appel qui refusait de tenir compte d’un procès-verbal de réception du lot « Menuiserie » ne retenant que celui qui réceptionnait l’ensemble des travaux (Cass., civ. III, 21 juin 2011, n° 10-20216).

 

Ces arrêts qui n’ont fait l’objet d’aucune publication sont venus semer le doute sur la portée de la remise en cause de l’unicité de la réception.

 

Les décisions ultérieures des cours d’appel reflètent cette incertitude.

 

La Cour d’appel de RIOM retient, dans une espèce où la réception a donné lieu à trois documents distincts intitulés « procès-verbal de réception » qu’ « elle ne contrevient pas au principe de la réception dans son unicité prévue par l’article 1792-6 du Code civil, dès lors que les trois actes qui ont été établis après l’achèvement complet de l’ouvrage, donnent lieu au même point de départ des garanties des constructeurs, et ont été passés sous une forme non prohibée par la loi » (CA RIOM, 02 avril 2012, n° 223, 10/01841, JurisData n° 2012-007335).

 

Toutefois, dans cette espèce, les trois procès-verbaux de réception ont été établis le même jour, de sorte qu’il semble difficile d’en tirer un principe.

 

La Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE semble, elle, soumettre la dérogation au principe d’unicité à l’existence de plusieurs bâtiments.

« Au surplus, la dérogation au principe de l’unicité de la réception, ne peut être retenue en l’espèce, puisque l’opération de construction ne porte pas sur plusieurs bâtiments distincts mais sur une maison individuelle » (CA AIX-EN-PROVENCE, 17 janvier 2013, n° 2013/028, JurisData n° 2013-000899).

 

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En l’espèce, s’agissant d’une maison individuelle, il conviendrait de donner application au principe d’unicité de la réception ; encore faut-il déterminer cette date…

 

Faut-il retenir la date de l’ultime procès-verbal de réception, celle de début des travaux par les maîtres d’ouvrage, qui auront dès lors démontré leur volonté d’accepter les travaux déjà réalisés ou encore la date de prise de possession ou d’achèvement de l’immeuble ?

 

Dans cette hypothèse et en l’absence de procès-verbal de réception globale, il convient dès lors de revenir aux critères de la réception tacite.

 

L’achèvement de l’immeuble n’est pas une condition requise pour prononcer la réception de l’ouvrage (Cass., Civ. III, 16 janvier 2013, n° 11-19.605, 11, JurisData n° 2013-000394).

 

Il est admis, de manière constante, que la réception tacite de l’ouvrage est subordonnée à la démonstration de la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter les travaux en l'état (Cass., Civ. III, 4 octobre 1989, n° 88-12.061 : JurisData n° 1989-003023 ; Bull. civ. 1989, III, n° 176).

 

En l’espèce, cette démonstration est intervenue à l’établissement de chaque procès-verbal de réception ; dès lors, et dans le but de retenir une date unique, il convient, à notre sens, de fixer la date de réception de l’ouvrage à celle du dernier procès-verbal de réception, soit en février 2010.

 

La conséquence de la date unique de réception est d’entraîner un délai de garantie décennale allongée pour l’entreprise chargée du gros œuvre.

 

Cette dernière, intervenant au début du chantier, verra son propre délai augmenté du temps d’achèvement des travaux, soit d’environ 12 à 18 mois.

 

Il est à noter que, dans une espèce similaire, la Cour d’appel de METZ a retenu comme point de départ du délai décennal relatif à des fissures affectant les plâtres et causées par une mauvaise exécution desdits plâtres, le procès-verbal de réception du lot Plâtrerie, étant précisé qu’il s’agissait en outre du dernier procès-verbal de réception des différents lots (CA METZ, 20 mars 2013).

 

En revanche, si l’on retient la position de la Cour de cassation telle qu’elle résulte de l’arrêt en date du 16 novembre 2010, il convient de retenir que la réception de chaque lot est intervenue à la date d’établissement de chaque procès-verbal de réception.

 

Cette solution ayant l’inconvénient d’entraîner une multiplicité des points de départ des délais de prescription alors même que les textes législatifs en matière de construction[1] démontraient une volonté d’unifier ces points de départ.

 

Elle impactera également les condamnations in solidum souvent prononcées en la matière puisque certains constructeurs pourront dès lors exciper d’une prescription intervenue plus tôt à leur égard.

 

En l’état actuel de la jurisprudence, les positions, d’une part, des juridictions d’appel et, d’autre part, de la Cour de cassation, peuvent être utilement soutenues selon la solution recherchée.

 

 

[1] Loi de 1978 qui fait de la réception le point unique de départ du délai décennal de l’article 1792, du délai biennal de l’article 1792-3, du délai annal de l’article 1792-3.

Loi du 17 juin 2008 insérant l’article 1792-4-3 soumettant l’ensemble des actions en responsabilité contre les constructeurs et leurs sous-traitants au délai de dix ans à compter de la réception.