Il s’agit d’un conflit intervenu à la suite de travaux de voirie dans le cadre d’un projet de rénovation d’une cité, opposant une commune à diverses entreprises intervenues sur ce chantier.
La commune a fait réaliser des travaux consistant en un déplacement de voierie existante qui bordait des habitations privatives dans le but de créer des jardins privatifs attenant à chaque habitation.
Les habitants des maisons attenantes se sont plaints d’infiltrations et d’humidité dans leurs caves en cours de travaux.
Les travaux ont cependant été réceptionnés sans réserve le 1er février 2001.
Sur demande de la commune, une expertise amiable a été réalisée le 16 février 2001.
Par la conclusion d’un autre marché la commune a fait effectuer des travaux de drainage et d’étanchéité des murs enterrés des habitations concernées.
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La commune a selon requête en date du 18 juin 2003 saisi le Tribunal Administratif d’une demande d’expertise judiciaire, à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 9 décembre 2003.
L’expert judiciaire a déposé son rapport le 11 mars 2006.
Au vu de ce rapport la commune a saisi le Tribunal Administratif de STRASBOURG, selon requête du 4 décembre 2006.
La commune a dans cette procédure limitée son action à la responsabilité contractuelle de ses co-contractants.
La réception sans réserve des travaux litigieux ayant mis fin à la relation contractuelle entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs concernant la réalisation de l’ouvrage, la responsabilité des constructeurs ne peut plus être recherchée sur un tel fondement.
Le Tribunal Administratif de Strasbourg, par un jugement du 30 septembre 2009 a rejeté la demande de la commune tendant à la condamnation solidaire des constructeurs à lui payer le montant des travaux de remise en conformité et de suppression des désordres constatés ainsi que le remboursement des frais d’expertise.
La commune a interjeté appel de ce jugement qui a été confirmé parun Arrêt de la Cour Administrative d’Appel du 6 décembre 2010.
Pour contester le jugement attaqué, la commune a tenté de faire valoir que les relations contractuelles entre les parties entrainent également l’application des dispositions dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du Code Civil, elle a ainsi demandé la condamnation des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale.
La Cour Administrative d’appel a confirmé le jugement du Tribunal administratif et a considéré qu’il s’agissait d’un fondement juridique distinct irrecevable en appel faute d’avoir été soulevé en première instance.
Il ressort de cette première procédure que la réception du chantier met fin aux relations contractuelles qui unissent le maitre de l’ouvrage et les constructeurs.
Les juges ont confirmé la jurisprudence administrative, qui contrairement aux juridictions judiciaires refuse le cumul de la responsabilité contractuelle de droit commun avec les garanties biennales et décennales écartant par la même l’application de la théorie des vices intermédiaires(1).
C’est dans ces conditions que la commune a selon requête du 4 janvier 2012, saisi une nouvelle fois le Tribunal Administratif d’une demande tendant à voir retenir la responsabilité des entrepreneurs mais cette fois sur le fondement de la garantie décennale.
La commune soutenait que les désordres constatés avant la réalisation des travaux de remise en état étaient imputables aux constructeurs et qu’ils étaient de nature décennale.
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Le Tribunal en son jugement du 8 avril 2015 a d’abord rappelé que la responsabilité des constructeurs est engagée sur le fondement de la garantie décennale lorsque les dommages apparus dans un délai de 10 ans sont de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, cette responsabilité peut être également recherchée pour des éléments dissociables de l’ouvrage, s’ils rendent celui-ci impropre à sa destination.
Le tribunal a rejeté la requête de la commune, et ce, pour plusieurs motifs :
En premier lieu, les désordres pour lesquels la commune a fait procéder aux travaux de réparation dont elle demande l’indemnisation, ne présentent pas de caractère décennal car ils ne concernent pas l’ouvrage objet des travaux, mais des tiers riverains.
Les ouvrages objets de travaux ne présentaient aucun désordre et leur destination et leur solidité n’était pas compromise. Les riverains n’ont pas subi de préjudice mais simplement une gêne résultant de l’apparition de traces d’humidité dans leur cave.
En tout état de cause, la garantie décennale ne peut être appliquée aux dommages avoisinants qui ne sont pas l’objet principal des travaux.
« … Les seuls désordres ont touché les habitations, celles-ci, non concernées par les travaux réalisés, ne peuvent être regardés comme des ouvrages permettant, au sens des principes sus-rappelés, d’engager la responsabilité décennale des constructeurs. »
Au motif que les désordres ont été constatés dès l’année 2000 alors que les travaux ont été réceptionnés sans réserves le 1er février 2001.
Les désordres étaient apparents lors de la construction or la réception des travaux sans réserves purge les vices apparents.
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Ce jugement soulève deux points importants :
- Les dommages qui étaient apparents lors de la réception des travaux et n’ayant fait l’objet d’aucune réserve ne permettent pas d’engager la responsabilité du constructeur au titre de la garantie décennale.
Il s’agit d’une confirmation d’une jurisprudence constante, selon laquelle la réception sans réserve purge les vices apparents (CE, 23 juillet 2010, n°315034 ; JurisData n°2010-012296-CE, 04 juillet 2007, n°270494, JurisData n°2007-072212).
Un tempérament est apporté à ce principe lorsque les désordres apparents à réception ne peuvent-être décelés dans toute leur étendue (CE, 3 novembre 1995, n°135149, JurisData n°1995-049567), ou lorsque l’ampleur et la gravité de leurs conséquences ne se sont révélées que postérieurement à la réception (CE,11 juillet 2001, n°214206, JurisData n°2001-0627449-CE, 10 juin 19944, n°124761, JurisData n°1994-0435883-CE, 10,juin 1992, op.cit-CE, 19 avril 1991, n°109322,JurisData n°1991-043533).
- D’autre part, le Tribunal Administratif vient refuser la qualification de désordre décennal, aux désordres affectant les avoisinants et non directement l’ouvrage objet de la rénovation. Les riverains n’ont pas subi de désordre compromettant la destination ou la solidité de leur habitation, ils n’ont pas subi de préjudice mais plutôt une gêne.
Cette décision constitue une application constante de la jurisprudence en la matière (Cass 3ème Civ 3 3.02.1999, n°97-16.498).
Sur ce point la jurisprudence administrative a été réaffirmée lors de l’arrêt du Conseil d’Etat, syndicat intercommunal d’alimentation en eau des communes de la Seyne et de la région est de Toulon :
« La fin des rapports contractuels entre le maitre de l’ouvrage et l’entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d’un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l’entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d’ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier, alors même que ces dommages n’étaient ni apparents, ni connus à la date de réception ».
(CE, 15 juillet 2004, n°235053, JurisData n°2004-067193)
Deux tempéraments sont à apporter à ce principe :
- Quand la réception n’a été acquise à l’entrepreneur qu’à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part,
- Lorsque le dommage subi par le tiers trouverait directement son origine dans des désordres affectant l’ouvrage du marché et qui seraient de nature à entrainer la mise en jeu de la responsabilité des constructeurs envers le maître d’ouvrage sur le fondement des principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du Code civil, c’est-à-dire que les désordres invoqués rendent l’ouvrage public impropre à sa destination ou ne l’atteignent en sa solidité.
(CE, 15 juillet 2004, idib.- CE, 13 novembre 2009, n°306061, 306062, Jurisdata n°2009-014158).
C’est ainsi que le Conseil d’Etat a déjà retenu que la Cour a commis une erreur de droit en excluant que la commune maître de l’ouvrage puisse rechercher la responsabilité décennale des constructeurs à raison des nuisances sonores causées aux tiers par l’exploitation de l’ouvrage du fait d’un défaut de conception et d’exécution des travaux, sans rechercher si elles n’avaient pas pour conséquences d’empêcher le fonctionnement normal de l’ouvrage et ainsi de le rendre impropre à sa destination (CE, 09 mai 2012, n°346757, JurisData n°2012-009576).
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Pour conclure, nous soulignerons que la prudence doit rester de mise lors de la réception des travaux, il est important de relever par écrit les désordres visibles, l’absence de réserves purgeant l’ouvrage de tous les vices apparents au moment de la réception des travaux.
D’autre part, ce jugement rappelle que la mise en œuvre de la garantie décennale des constructeurs ne s’applique qu’aux ouvrages objets des travaux, et pas aux bâtiments avoisinants.
En l’espèce, c’est la commune qui a agi contre les constructeurs, constatant qu’aucune action n’a été menée par les riverains.
Une action aurait pu prospérer si elle avait été menée par les voisins pour trouble anormal du voisinage.
(1) La théorie des vices intermédiaires s’applique aux désordres qui se révèlent après la réception, après l’expiration de la garantie de parfait achèvement, mais qui n’ont pas un niveau de gravité suffisant pour entrer dans le cadre de la garantie décennale.
Ces désordres non pris en charge par les articles 1792 et suivants, relèvent de la théorie jurisprudentielle des vices intermédiaires. Le maître de l’ouvrage peut obtenir indemnisation sous réserve d’apporter la preuve d’une faute dans la réalisation des travaux à l’origine du désordre.