TGI de SARREGUEMINES, jugement avant dire-droit du 24 mars 2017
La société I a fait édifier en 1998 une piscine couverte avec sauna, travaux réalisés sous maîtrise d’œuvre confiée à M. C, architecte.
Différentes entreprises sont intervenues au titre des travaux de plâtrerie, d’installation sanitaire, des menuiseries, de l’étanchéité intérieure,…
Après réception, des désordres sont apparus, à savoir des traces d’humidité visibles sur les parois extérieures, et un mauvais fonctionnement des baies coulissantes.
C’est dans ces conditions que le maître d’ouvrage a saisi Monsieur le président du Tribunal de Grande Instance, statuant en référé, lequel a désigné par ordonnance du 1er février 2005 un expert judiciaire.
Les opérations d’expertise se sont avérées laborieuses.
En premier lieu, l’Expert judiciaire n’a pas respecté le délai fixé par l’ordonnance de déposer son rapport dans les trois mois suivant l’avis de consignation.
C’est ainsi que le rapport d’expertise définitif a été déposé le 21 septembre 2011, soit plus de six ans après la consignation et après deux courriers du Tribunal s’inquiétant des délais anormalement longs de ces opérations.
En second lieu, il a été reproché à l’Expert judiciaire de ne pas avoir rempli correctement sa mission.
La société I a néanmoins saisi, par assignation du 29 mars 2012, le Tribunal de Grande Instance d’une demande tendant à voir, en vertu du rapport d’expertise judiciaire, condamner in solidum l’ensemble des défendeurs au paiement d’un peu plus de 275 000 € au titre des travaux de reprise outre 30 000 € au titre du trouble de jouissance.
Dès lors, les parties défenderesses, contestant les conclusions de l’expert, ont sollicité l’organisation d’une contre-expertise.
Le Tribunal de Grande Instance, par jugement avant dire-droit du 24 mars 2017, a accueilli les griefs des défenderesses à l’encontre du rapport d’expertise.
C’est ainsi que le Tribunal a retenu « il ressort effectivement de l’examen du rapport de [l’Expert judiciaire] diverses incohérences, erreurs ou confusions portant sur les prestations respectivement réalisées par les différentes entreprises intervenantes ».
C’est ainsi que le Tribunal a relevé les différents manquements de l’Expert dans l’exécution de sa mission, tels que :
- Le fait d’avoir relevé que l’isolation réalisée par la société G. a été percée à de multiples endroits par la société P., au cours de la pose du faux-plafond, mais de n’en tirer aucune conséquence quant à l’atteinte ainsi portée à l’isolation et au pare-vapeur.
- Le fait de n’avoir procédé à aucune démonstrationpermettant de déterminer précisément l’origine des défauts d’étanchéité, des règles de l’art qui n’auraient pas été respectées et incombant à quelle entreprise intervenante à l’opération de construction,
- Le fait de ne pas s’être interrogé sur les travaux d’isolation extérieure, ni sur l’existence de pont thermique,
- Le fait d’avoir conclu à la nécessité d’une reprise totale des travaux pour un coût évalué globalement à un montant de 289 160 € alors que l’ordonnance donnait pour mission à l’Expert d’indiquer et chiffrer les travaux propres à remédier aux désordres, après communication aux parties de devis et propositions chiffrées concernant les travaux envisagés,
- Le fait de n’avoir communiqué aucun devis susceptible de justifier le chiffrage annoncé,
- Le fait d’avoir indiqué qu’il convenait de réaliser un essai fumigène afin de localiser les faiblesses de l’étanchéité avant de déposer son rapport sans avoir fait ce test, et ce sans explication,
- Le fait d’avoir retenu qu’il ne se substituait pas au maître d’œuvre qui doit proposer des solutions pérennes remédiant aux désordres constatés alors qu’il entre au contraire dans sa mission de proposer de telles solutions.
Le Tribunal ainsi retenu que « le débat technique contradictoire, avant précisément que le tribunal soit amené à statuer, n’a pu avoir lieu en l’espèce, en l’absence de chiffrage détaillé et de devis régulièrement communiqué aux parties.
Le rapport qui ne répond que d’une façon incomplète et insuffisante aux questions que contenait la mission et sur lesquelles le tribunal souhaitait être éclairé, ne lui permet pas d’en déduire toutes conséquences juridiques pour la solution du litige, de sorte que les conclusions de l’expert sont insuffisantes à fonder les demandes ; il est donc nécessaire avant dire droit, d’ordonner une contre-expertise ».
Il convient de préciser qu’à l’heure actuelle les opérations d’expertise sont encore en cours.
Cette espèce vient illustrer les conséquences d’un mauvais rapport d’expertise.
En effet, celle-ci, faute de diligences et de respect des délais, a nécessité que les opérations d’expertise soient reprises ab initio, et ce près de vingt ans après la réalisation des travaux.
Malheureusement, la qualité d’un rapport d’expertise n’est pas toujours satisfaisante.
Bien que la présence d’un avocat aux opérations d’expertise permette à celui-ci d’orienter les investigations de l’Expert (non ses conclusions), elle se révèle stérile lorsque l’Expert refuse d’entendre toutes les parties.
Les conséquences d’une telle position de l’Expert affectent l’ensemble des parties, y compris le demandeur lequel, vingt après sa construction, ne dispose toujours pas de rapport d’expertise exploitable.