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LA LIBERTE D’EXPRESSION DE L’AVOCAT

Le 09 août 2017
Bon nombre d’avocats, dans l’exercice au quotidien de leur métier, s’interrogent sur l’étendue de leur liberté d’expression.


Ce questionnement est dans l’ordre naturel des choses puisque l’avocat porte la voix de son client et, par conséquent, il n’est pas réaliste eu égard à son rôle d’exiger de lui une parole en permanence mesurée ou objective.
 
L’avocat est avant tout l’avocat d’une partie, et par conséquent, il s’induit même de la mission de l’avocat un devoir non pas d’impartialité, mais de partialité dans le respect de sa déontologie.
 
Faisons le point sur cette liberté d’expression dans le prétoire et en dehors du prétoire.
 
 I.      La liberté d’expression d’un avocat, dans l’enceinte du Palais de Justice et dans les écrits judiciaires
 
 
L’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit une immunité du discours judiciaire et des écrits produits en justice.
 
Précisément, l’article 41 alinéa 3 de la loi dispose : « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. ».
 
D’entrée, rappelons que ce texte n’institue qu’une immunité pénale, et encore, pour les seules infractions de diffamation, d’injure et d’outrage, mais il n’institue pas d’immunité disciplinaire.
 
Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la Cour de Cassation du 10 septembre 2015.
 
Cour de Cassation, 1ère Chambre, 10 septembre 2015, pourvoi 14-24208
 
En l’espèce, un avocat était poursuivi disciplinairement pour avoir manqué à ses obligations de délicatesse et de modération lors d’un débat devant le Juge des Libertés et de la Détention.
 
Il y a eu audience correctionnelle.
 
L’avocat avait pu être sanctionné d’un avertissement pour manquement à son obligation de délicatesse et de modération compte tenu de la virulence et du volume sonore inhabituel de sa plaidoirie, auquel s’était ajouté la véhémence des propos tenus par l’avocat dirigés contre le Magistrat, mettant en cause sa compétence professionnelle et le menaçant de le faire démettre.
 
Menacer un Magistrat de le faire démettre de ses fonctions relève effectivement de l’outrance, ce qui est contraire à l’obligation de délicatesse.
 
Le plus curieux, par conséquent, est le fait que la Cour ait admis que de s’exprimer avec virulence et de recourir à un volume sonore plus important que la normale pouvait constituer un manquement à la délicatesse.
 
En clair, mes chers confrères, plaidez mais dans le silence, s’il vous plait !
 
Plaisanterie mise à part, cet arrêt nous enseigne donc que l’immunité dont il s’agit n’est que pénale mais n’est pas disciplinaire.
 
Enfin, toujours sur le ton de l’humour, il n’est pas inutile de rappeler également un arrêt de la Cour de Cassation dans lequel la Cour Suprême a dû se prononcer sur la conciliation entre « immunité de robe » et « excuse de provocation ».
 
En l’espèce, les propos contestés avaient été tenus au cours d’une audience correctionnelle, lors de laquelle étaient jugés les auteurs du saccage d’une librairie.
 
Madame X, qui accompagnait son mari gérant de la librairie, partie civile à l’audience, s’est adressée à l’avocat des prévenus en lui disant, lors de sa plaidoirie, « Vous êtes un salaud ! ».
 
Ce dernier venait, au cours de sa plaidoirie, d’établir un parallèle entre les actions de boycott des produits israéliens prononcé par Monsieur X et l’ostracisme des commerces juifs orchestrés par le régime nazi, ce qui avait fait monté Madame X dans une colère noire et l’a poussée à injurier publiquement l’avocat des prévenus.
 
Ce dernier a alors porté plainte et s’est constitué partie civile du chef d’injure publique envers un particulier sur le fondement de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881.
 
Les premiers Juges ont retenu le caractère injurieux des propos tenus par Madame X, mais l’ont relaxée au bénéfice de l’excuse de provocation.
 
Ils ont effectivement estimé que Madame X a été provoquée par l’avocat des prévenus et qu’elle a pu légitimement se sentir directement visée par ce dernier lors de sa plaidoirie, ce qui légitimerait l’injure ainsi prononcée.
 
En Cour d’Appel, notre confrère faisait valoir que l’exercice d’un droit de défense ne pouvait être considéré comme une provocation autorisant de surcroit à une personne présente dans la salle, non partie à l’audience, à l’interrompre et à l’injurier publiquement.
 
Le Cour de Cassation rejetait le pourvoi, confirmant ainsi la décision d’appel retenant l’appréciation souveraine des faits et des circonstances de la cause, et confirmant ainsi que l’injure, spontanément proférée par Madame X, et qui était personnellement visée par la comparaison établie par le conseil des prévenus, répondait directement à des propos qui, eu égard aux circonstances dans lesquelles ils avaient été tenus, étaient de nature à porter gravement atteinte à son honneur et à ses intérêts moraux.
 
En clair, non seulement plaidez en silence, mais efforcez-vous de ne jamais heurter quiconque présent dans la salle d’audience, au risque, si vous êtes vous-même injurié, de perdre votre procès au nom de l’excuse de provocation que votre contradicteur pourra faire valoir.
 
Toutefois, nous pourrions être rassurés par un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Hommes du 15 décembre 2015 préservant notre liberté d’expression, rendu justement en matière disciplinaire.
 
En l’espèce, un avocat avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire en raison d’écrits consignés dans des écritures déposées devant la Cour d’Appel.
 
Dans ses écritures, notre confrère avait affirmé que les Magistrats instructeurs avaient été complices d’actes de torture commis à l’encontre de son client par les services secrets syriens et sollicitait en conséquence le rejet des pièces obtenues sous la torture.
 
Le Conseil de discipline du Barreau de Paris avait absout notre confrère et la Cour d’Appel lui avait infligé un blâme assorti d’une inéligibilité aux instances professionnelles pour 5 ans.
 
Après que son pourvoi en cassation ait été rejeté, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a été saisie et cette dernière a conclu à une ingérence disproportionnée, en précisant que le contrôle, à posteriori, des paroles et des écrits litigieux d’un avocat, doit être mis en œuvre avec une prudence et une mesure particulière.
 
CEDH, 15 décembre 2015, BONO / FRANCE
 
La conclusion qui s’impose est que si, par conséquent, nous jouissons, sous couvert de la robe et sous la foi de la signature de nos écritures judiciaires, d’une très grande liberté d’expression, elle n’est pas absolue, l’immunité ne nous protège pas d’une action disciplinaire.
 
Pour finir, rappelons que l’immunité ne bénéficie qu’aux seuls propos ou écrits en relation avec la cause.
 
Le dernier alinéa de l’article 41 nous enseigne en effet : « Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers. ».
 
Ainsi, même dans son domaine de l’immunité pénale, notre liberté d’expression n’est pas absolue puisqu’elle sera écartée lorsque les faits sont étrangers à la cause débattue.
 
Ainsi, si la pièce produite est étrangère à la cause, non seulement elle sera écartée mais elle pourra donner lieu à une action qui redevient alors possible.
 
Il en va de même des discours et des écritures.
 
La liberté de parole est grande, mais elle est un exercice difficile.
 
 
 II.    La liberté de parole de l’avocat en dehors du prétoire
 
 
La jurisprudence, tant nationale qu’européenne, s’est développée ces dernières années, consacrant une liberté d’expression de l’avocat en dehors du prétoire.
 
Ainsi, par exemple, la 17e Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, le 30 mai 2006, confirmée en cela par la Cour d’Appel de Paris le 04 juillet 2017, consacrait cette liberté d’expression.
 
Un avocat poursuivi du chef de diffamation, qui avait déclaré dans le cadre d’une tribune publiée dans un journal, qu’un professeur de sciences exerçait « des menaces sur l’une de ses étudiantes, des pressions et des mesures de rétorsion à la suite du refus de celle-ci de lui accorder des faveurs sexuelles. ».
 
L’avocat a été relaxé en raison du contexte, de très vives discussions, et de la qualité de l’avocat du prévenu, la Cour d’Appel jugeant que les limites admissibles de la liberté d’expression protégée n’avaient pas été excédées.
 
De même, le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans un arrêt remarqué du 20 octobre 2010, qui opposait Maître Olivier METZNER à Maître Georges KIEJMAN qui était poursuivi du chef de diffamation, a relaxé Maître KIEJMAN au nom de l’excuse de bonne foi au motif que « si les propos de Georges KIEJMAN manquent incontestablement de mesure alors qu’ils ne reposent, pour l’essentiel, que sur des déductions soutenues par sa propre conviction, ils émanent d’un avocat passionné qui consacre toute son énergie à la défense de sa cliente et qui ne saura restreindre sa liberté d’expression au seul motif qu’il évoque sa cause devant les journalistes au lieu de s’adresser à des Magistrats. ».
 
La liberté d’expression en dehors du prétoire est consacrée non seulement au niveau national mais également au niveau européen.
 
Ainsi, dans l’affaire MOR / FRANCE, la CEDH a reconnu que le statut spécifique des avocats leur fait occuper une position centrale dans l’administration de la justice et leur qualité d’intermédiaire entre les justiciables et les Tribunaux permette de les qualifier d’auxiliaires de justice et que « pour croire en l’administration de la justice, le public doit également avoir confiance en la capacité des avocats à représenter effectivement les justiciables ».
 
Paragraphe 42 de l’arrêt CEDH, 15 décembre 2011, MOR / FRANCE
 
Dans l’affaire MORICE / FRANCE du 23 avril 2015, la même CEDH a rappelé que « l’avocat, quant à lui, ne parle qu’en son nom et en celui de ses clients, ce qui le distingue d’ailleurs également d’un journaliste dont la place dans le débat judiciaire et la mission sont intrinsèquement différentes » et « qu’un avocat doit pouvoir attirer l’attention du public sur d’éventuels dysfonctionnements judiciaires, l’autorité judiciaire pouvant tirer un bénéfice d’une critique constructive ».
 
Paragraphes 167 et 168 de l’arrêt CEDH, 23 avril 2015, MORICE / FRANCE
 
Le droit de critique est encore plus large s’agissant de critiquer le fonctionnement de la justice et des Magistrats.
 
Ainsi dans une décision Nikula contre Finlande du 21 mars 2002, la Cour Européenne des Droits de l’Homme distingue clairement entre les Juges du siège et les Magistrats du Parquet qui depuis longtemps sont, notamment au pénal, assimilés à la partie adverse.
 
Arrêt C.E.D.H Nikula contre FINLANDE 21 mars 2002
Arrêt C.E.D.H Dumas contre France 15 juillet 2010
 
Dans cet arrêt on peut lire : « un Avocat de la défense jouit d’une grande latitude au nom de l’égalité des armes pour formuler des critiques à l’égard d’un Procureur (§48 de l’arrêt du 15 juillet 2010) ».
 
Dans l’arrêt Nikula contre Finlande, la Cour fait la distinction entre les critiques très vives qu’un Procureur doit tolérer dans la mesure où elle vise la manière dont il s’est acquitté de ses fonctions et non pas ses qualités professionnelles en général.
 
La Cour estime qu’il est nécessaire de prévenir tout effet inhibiteur sur la liberté d’expression des Avocats.
 
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu en grande chambre composée de 17 Juges le 23 avril 2015 un arrêt de référence ayant donné lieu à un communiqué de presse du Greffe de la juridiction.
 
Dans cet espèce, Maître MORICE, Avocat de Madame MOREL veuve du Juge français Bernard MOREL retrouvé le 19 octobre 1995 mort à 80km de la ville de DJIBOUTI, avait été condamné par la Cour d’Appel de ROUEN statuant sur renvoi de cassation pour diffamation sur plainte de deux Juges d’Instruction dont il avait dénoncé dans un journal publié par le journal LE MONDE « le comportement parfaitement contraire aux principes d’impartialité et de loyauté ».
 
L’Avocat faisait également reproche au Juge en charge du dossier d’avoir laissé le dossier « en état de déshérence ».
 
La Cour Européenne des Droits de l’Homme juge qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme notamment du droit à la liberté d’expression et condamne la France.
 
La Cour dans ses paragraphes 39, 40 et 41 souligne que l’Avocat, intermédiaire entre le justiciable et les tribunaux, occupe « une position centrale dans l’administration de la justice » et joue « un rôle clé pour assurer la confiance du public dans l’action des tribunaux dont la mission est fondamentale dans une démocratie et un Etat de droit. »
 
La Cour rappelle ainsi que l’Avocat bénéfice de droits et privilèges exclusifs, qui peuvent varier d’une juridiction à une autre.
 
Ainsi, est reconnu le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice en veillant à ne pas franchir les limites que lui fixent « les normes de conduite imposées en général aux membres du Barreau qu’ils s’agissent notamment de la dignité, de l’honneur et de la probité ».
 
La Cour ne manque pas de rappeler que « la question de la liberté d’expression est liée à l’indépendance de la profession d’Avocat, cruciale pour un fonctionnement effectif de l’administration équitable de la justice ».
 
Ainsi en dehors du prétoire, il ne peut être reproché à l’Avocat d’informer le public sur des dysfonctionnements de nature à nuire à la bonne marche de la justice.
 
La Cour estime qu’était en cause le fonctionnement du pouvoir judiciaire qui s’inscrit dans le cadre d’un débat général emporte cette conséquence que la liberté d’expression devait bénéficier « d’un niveau élevé de protection ».
 
C.E.DH, 23 avril 2015 – 142-2015 MORICE/ETAT FRANCAIS
 
Cette affaire vient de connaitre son épilogue dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 16 décembre 2016.
 
Dans cet arrêt, la Cour Suprême nous enseigne que l’expression de la critique exprimée par un avocat dans le cadre de sa mission, dès lors qu’elle repose sur une base factuelle suffisante, peut l’être de manière virulente car une telle critique, pour blessante qu’elle soit vis-à-vis du Magistrat, ne saurait être réduite à la simple expression d’une animosité personnelle envers ce dernier.
 
Ainsi, comme cela a pu être commenté, cette décision vient couronner, en droit interne, le principe de la liberté d’expression d’un avocat hors des prétoires comme procédant de l’exercice des droits de la défense, laquelle peut avoir vocation à critiquer l’action des Magistrats.
 
Cour de Cassation, Assemblée Plénière, 16 décembre 2016, pourvoi 08-86295
 
Mais comme vous l’aurez ainsi observé, cela suppose nécessairement que l’avocat dispose d’une base factuelle suffisante.
 
Comme toute liberté, même renforcée, elle n’est pas absolue, et la Cour de Cassation nous rappelle également que l’avocat ne peut pas dépasser certaines bornes en matière d’attaques personnelles.
 
C’est pourquoi un avocat ne saurait en aucune manière s’abriter derrière sa fonction pour en réalité se livrer à une attaque personnelle.
 
Cassation civile, 04 mai 2012, pourvoi 11-30193
 
L’exigence de ne pas se livrer à des attaques personnelles est encore rappelée dans un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui opposait un avocat italien à son pays.
 
Précisément, un avocat italien adresse une plainte au Conseil Supérieur de la Magistrature par laquelle il dénonce le comportement d’un Juge, puis il diffusera une lettre circulaire à plusieurs Juges du même Tribunal, en reprenant les griefs formulés contre ce Magistrat qui, bien que non nommé, était identifiable.
 
La lettre faisait état de comportement que les Juges devraient s’interdire, notamment se tromper volontairement avec dol, faute grave, ou par manque d’engagement.
 
Bien évidemment, plainte du Magistrat, poursuites, sanctions pénales prononcées par la juridiction italienne, et saisine après l’épuisement des voies de recours de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
 
Cette dernière se réfère à l’arrêt MORICE alors même que n’était pas en débat le système judiciaire dans son ensemble mais un Magistrat.
 
La Cour a retenu qu’il y avait une intention de nuire à la réputation et à l’image professionnelle du Juge en alléguant le manquement de ce dernier à ses obligations déontologiques, voire la commission d’une infraction pénale, et ce sans aucune base factuelle suffisante et au seul motif que les demandes de l’avocat avaient été rejetées par le Magistrat.
 
La Cour a considéré, par conséquent, que la décision pénale de condamnation de l’avocat ne constituait pas une ingérence dans sa liberté d’expression et a conclu à l’absence de violation de l’article 10 de la Convention
 
CEDH, 30 juin 2015, PERUZZI / Italie
 
Par conséquent, nous jouissons, dans l’enceinte du Palais de Justice, au travers de nos écritures judiciaires et en dehors du prétoire, d’une grande liberté d’expression et de critique, indiscutablement renforcée par rapport à celle dont dispose d’autres professions et d’autres citoyens, mais, comme toute liberté, elle n’est pas absolue.
 
L’expression doit s’appuyer sur une base factuelle suffisante, et l’expression ne doit pas en réalité dissimuler une attaque personnelle contre un Juge.