Quels recours envisager en cas de revente illégale d’une concession funéraire ?
La commune de C. a accordé aux Époux W., selon acte de concession de terrain en date du 13 octobre 2000, une concession de trente années à l’effet d’y fonder leur sépulture et ce, au titre de la parcelle 88 du plan.
Cette concession a, aux yeux desdits époux, de par son emplacement situé à côté de la concession n° 89 dans laquelle repose la sépulture de la mère de Madame W., un caractère substantiel.
Or, plusieurs années plus tard, ces derniers ont constaté qu’un tiers a été inhumé dans leur concession.
Quels recours envisager en cas de revente illégale d’une concession funéraire ?
Depuis l’arrêt MARÉCAR (CE, 18 juin 1935), confirmé par l’arrêt DEMOISELLE MÉLINE (CE, 21 octobre 1955), un contrat de concession est un contrat administratif.
En cas d’atteinte à une concession, il est ainsi possible d’envisager trois fondements :
- La responsabilité pour faute de l’Administration dans l’exercice de ses pouvoirs de gestion et de police des cimetières
- La responsabilité de l’Administration fondée sur l’emprise irrégulière
- La voie de fait.
Il convient de préciser que la voie de fait relève de la compétence du juge judiciaire.
Cependant, en l’espèce, il convient d’ores et déjà d’écarter la voie de fait dès lors qu’il n’y a pas atteinte aux corps inhumés (Cass.,Civ. 1, 29 mai 2001, n° 99-15725, Bull. 2001, I, n° 155).
La responsabilité pour faute de l’Administration dans l’exercice de ses pouvoirs de gestion et de police des cimetières relève quant à elle de la compétence du juge administratif.
Un arrêt du Conseil d’État, intervenu sur ce fondement dans une espèce similaire, est particulièrement intéressant.
Dans cette espèce, Mme A. a acquis une concession afin d’être inhumée aux côtés de son mari déjà enterré.
Or, cette concession a, par la suite, également été attribuée à un tiers lequel a fait inhumer l’un de ses proches.
Le jugement attaqué avait fait injonction à l’Administration de rechercher l’accord du plus proche parent du tiers inhumé afin d’autoriser son exhumation et son transfert.
Or, les diligences à cet effet de l’administration sont restées vaines, aucun proche du tiers n’ayant pu être contacté, de sorte que le Conseil d’État a retenu que les conclusions aux fins d’exhumation du tiers devaient être écartées.
En revanche, le Conseil d’État a enjoint à la Commune de rechercher l’accord des proches de Madame A. [entre temps décédée et inhumer dans un caveau provisoire] pour assurer à ses frais l’exhumation du mari de la concessionnaire et le transfert du corps de la concessionnaire, ainsi que leur inhumation commune sur une concession funéraire d’une même superficie à localiser dans le même cimetière, conformément aux dispositions de la concession funéraire.
La commune est également condamnée au versement d’une somme de 8 000 € correspondant aux frais d’inhumation provisoire de Mme A.
(CE, 17 janvier 2011, n° 334156, Rec. LEBON, « Erreur d’attribution de concession funéraire et responsabilité communale », La Semaine Juridique Adm. et Coll. Terr. n° 15, 11 avril 2011, 2142, Philippe DUPUIS).
S’agissant de l’emprise irrégulière, l’analyse de la jurisprudence (JCP G n° 26, 26 juin 2002, II 10101, « La nature du droit du titulaire d’une concession funéraire, Comm. Simon FROMONT) laisse penser que la caractérisation d’une emprise irrégulière serait limitée au seul cas de dépossession du droit de superficie en raison de la revente illégale d’une concession (TA LILLE, 11 mars 1999, Cts KHEDDACHE c/ Cne de MAUBEUGE, AJDA 1999, p. 1026 – Cass., Civ. 1, 29 mai 2001, CAMY c/ Cne de LAGOR).
S’agissant d’une action fondée sur l’emprise irrégulière, la compétence juridictionnelle est partagée puisqu’il appartient à la seule juridiction administrative de constater l’emprise irrégulière, la fixation de l’indemnité appartenant en revanche au juge judiciaire (Cass., Civ. 1, 29 mai 2001, ibid.).
La frontière entre ces deux derniers fondements est ténue et le juge administratif retient parfois sa compétence pour prononcer une indemnisation dans des espèces s’analysant en une emprise irrégulière.
Il convient en outre d’observer que la jurisprudence récente du Tribunal des Conflits a « réduit à peau de chagrin » le champ d’application de l’emprise irrégulière.
En effet, le Tribunal des Conflits a, dans un arrêt du 09 décembre 2013, retenu que :
« sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'État ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative ; que cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l'autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle ; que, dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'Administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété ».
(T. Confl., 09 décembre 2013, n° 3931, Époux PANIZZON JurisData n° 2013-033193)
Dès lors, certains auteurs retiennent que dans la mesure où le juge administratif est compétent pour indemniser les conséquences dommageables des emprises qui ne révèlent pas une « extinction du droit de propriété », entendue comme une « dépossession définitive », les hypothèses de compétence judiciaire ne seront plus nombreuses (« La restriction de l’emprise irrégulière », Rev. Dr. Adm. n° 4, Avril 2014, comm. 25, Simon GILBERT).
Il convient par ailleurs de préciser que tout recours indemnitaire à l’encontre de l’Administration doit faire impérativement l’objet d’une demande de décision préalable, laquelle doit clairement tendre à des fins indemnitaires même si les prétentions ne sont pas chiffrées.
Enfin, ces jurisprudences nous enseignent que dès lors qu’une concession a été accordée, il convient néanmoins de surveiller celle-ci puisqu’en cas d’inhumation d’un tiers, aucune exhumation ne pourra intervenir sans l’accord de ses proches.