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Les critères de la réception judiciaire d’un ouvrage

Le 02 juin 2015

La réception d’un ouvrage, définie par l’article 1792-6 du Code civil, est « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves », la réception pouvant être expresse, tacite ou judiciaire.   Quid lorsque le maître de l’ouvrage refuse la réception alors que le maître d’œuvre ou l’entreprise indique que l’ouvrage est réceptionnable ? Quels sont les critères de « réceptionnabilité » d’un ouvrage ?   L’article 1792-6 du Code civil dispose que si la réception n’intervient pas amiablement, elle peut être prononcée judiciairement à l’initiative de la partie la plus diligente.   La jurisprudence a dès lors été amenée à développer des critères à partir desquels la réception judiciaire peut ou non être prononcée.   * L’achèvement des travaux : un critère indifférent et insuffisant   Il est constant que l’achèvement des travaux n’est pas une condition de réception des ouvrages (Cass., Civ. III, 17 novembre 2004, n° 03-10.202, JurisData n° 2004-025704).   Par ailleurs, il est admis que la réception puisse être partielle et par lots (Cass., Civ. III, 11 octobre 2006, n° 05-13.846 – Cass., Civ. III, 16 novembre 2010, n° 10-10.828, 1360, JurisData n° 2010-021555) (Cf. Notre article : Cas pratique sur la remise en cause de l’unicité de la réception).   Il est à noter que, par exception, la réception des marchés soumis à la norme AFNOR P 03-001 de décembre 2000 est, sauf dérogation conventionnelle autorisant des réceptions partielles, conditionnée par l’achèvement des travaux (art. 17.2.1.2.2).   Une seconde exception concerne le « castor », c’est-à-dire le maître de l’ouvrage qui réalise lui-même les travaux de construction avant de vendre.   En effet, dans ces circonstances, la réception des travaux n’étant jamais prononcée, la jurisprudence retient que la responsabilité du « castor » commence à courir à l’achèvement des travaux (Cass., Civ. III, 7 septembre 2011, n° 10-10.596, 936, JurisData n° 2011-018182).   * L’ouvrage en état d’être reçu ou habitable   La jurisprudence privilégie, pour prononcer la réception judiciaire, que l’ouvrage soit habitable ou, plus largement, en état d’être reçu.   C’est ainsi que la réception judiciaire a pu être prononcée lorsque : -          L’immeuble étant effectivement habitable (Cass., Civ. III, 20 novembre 2013, n° 12-29.981, 1365, JurisData n° 2013-026356). -          Les courts de tennis étant achevés et en état d’être reçus (Cass., Civ. III, 26 janvier 2010, n° 08-70.220, JurisData n° 2010-051379).   Et a été refusée lorsque : -          L’ouvrage étant inhabitable (Cass., Civ. III, 19 mai 2009, n° 08-16.200, JurisData n° 2009-048315).   La Cour de cassation a développé son critère par deux arrêts récents : -          Le premier retenant que la réception judiciaire ne pouvait être prononcée dès lors que l’immeuble à usage de garage-musée pour des voitures automobiles de collection ne pouvait pas être mis en service et n’était pas en état d’être reçu en raison des désordres affectant sa solidité et compromettant non seulement sa destination mais également sa pérennité (Cass., Civ. III, 11 janvier 2012, n° 10-26.898, 37, JurisData n° 2012-000258). -          Le second retenant que l’installation affectée de dysfonctionnements, inadaptée au traitement des eaux usées industrielles et rejetant des résidus non conformes aux normes était impropre à sa destination, la cour d’appel avait pu en déduire que l’installation n’était pas en état d’être reçue et qu’aucune réception n’était possible (Cass., Civ. III, 11 juin 2014, n° 13-14.785, 769, JurisData n° 2014-013070).   Il convient de préciser que ces critères ne sauraient être appliqués s’agissant de réception tacite ; la Cour de cassation ayant expressément précisé que l’achèvement des travaux et l’habitabilité de l’ouvrage ne sont pas des conditions nécessaires de la réception tacite (Cass., Civ. III, 18 décembre 2012, n° 11-23.590, 11-23.591, 1570, JurisData n° 2012-030311).   * La date de la réception   S’il est déterminé que la réception judiciaire peut être prononcée, il convient d’en fixer la date.   Pour ce faire, la Cour de cassation recherche la date à laquelle l’immeuble a été en état d’être reçu, à savoir lorsque l’ouvrage a été habitable (Cass., Civ. III, 29 mars 2011, n° 10-15.824, 386, JurisData n° 2011-005085), refusant que la cour d’appel ne retienne la date où le juge a statué (Cass., Civ. III, 21 mai 2003, n° 02-10.052, JurisData n° 2003-019053) ou celle de la remise des clefs (Cass., Civ. III, 8 juin 2010, n° 09-69.241, 754, JurisData n° 2010-008970).   Toutefois, s’agissant d’une appréciation des faits, la Cour de cassation adapte la solution aux circonstances de l’espèce.   C’est ainsi que la Cour de cassation a retenu qu’ayant constaté que l’immeuble était effectivement habitable au jour du rapport de l’expert judiciaire, avec les réserves mentionnées dans ce rapport, la cour d’appel a pu en déduire que la réception judiciaire pouvait être fixée à la date de ce rapport (Cass., Civ. III, 20 novembre 2013, n° 12-29.981, 1365, JurisData n° 2013-026356).   Une exception notable est à signaler s’agissant des contrats de construction de maisons individuelles pour lesquels la Cour de cassation a expressément écarté la date à laquelle l’immeuble était habitable pour privilégier la date de remise des clefs ; la doctrine estimant que cette solution se justifierait par le particularisme des CCMI qui mêlent étroitement réception et livraison de l’ouvrage (cf. art. L 231-8 du Code de la construction et de l’habitation) (Cass., Civ. III, 27 février 2013, n° 12-14.090, JurisData n° 2013-003217 ; Rev. Constr.-Urb. n° 5, Mai 2013, comm. 74).   ٭ ٭ ٭   Ainsi, alors que la réception des travaux apparaît comme une notion facilement appréhendable, elle se révèle multiple (expresse, tacite, judiciaire) ; chaque type de réception répondant à des critères différents.