Les personnes désireuses de faire construire une maison d’habitation ne sont pas obligées de se tourner vers un architecte, dès lors que la surface du plancher hors d’œuvre nette (S.H.O.N.)[1] est inférieure à 170 m².
Cependant, les exigences tenant à l’édification d’une construction, la nécessité de connaissances spécifiques, conduisent de nombreux maîtres d’ouvrage à recourir à un professionnel.
A ce stade, une précision s’impose : hormis les cas dans lesquels l’intervention d’un architecte est obligatoire, des professionnels non architectes peuvent assurer une maîtrise d’œuvre. Ceux-ci prennent le plus souvent les noms de « bureau d’étude », « économistes de la construction », ou plus simplement, « maître d’œuvre ».
Quelles sont les missions pouvant leur être confiées ?
Une maîtrise d'œuvre peut comporter plusieurs missions, lesquelles peuvent être rassemblées en trois groupes distincts : la conception de l'œuvre ; la direction et la surveillance des travaux ; la consultation et le suivi, l’assistance à la réception et le suivi de la levée des réserves.
On parle de mission complète de maîtrise d’œuvre dès lors que l’architecte ou le maître d’œuvre non architecte exerce la totalité de ces missions, et les obligations auxquelles ils sont tenus sont identiques.
Concrètement, le maître d’œuvre va établir les plans de la future maison, élaborer les appels d’offre, conseiller le maître d’ouvrage dans le choix des entreprises et l’assister dans ses relations avec ces dernières, assurer la haute direction du chantier et surveiller les travaux réalisés par les entreprises, et vérifier ceux-ci, ou encore fournir à ses clients maître d’ouvrage toutes les explications nécessaires à la compréhension et à l’appréciation des interventions et travaux effectués sur le chantier.
En bref, le maître d’œuvre assiste le client dans toutes les tâches, de l’ébauche de la construction jusqu’à la parfaite réalisation de l’ouvrage. Les plans d’exécution peuvent être à la charge du maître d’œuvre. En revanche, dans le cas d’une mission « VISA », ceux-ci sont à la charge de l’entreprise, l’architecte procédant ensuite à une vérification.
Il ne faut pas perdre de vue que le maître d’œuvre doit continuellement agir dans l’intérêt du maître d’ouvrage, et doit s’assurer que les souhaits de ce dernier – dont il doit tenir compte – sont réalisables.
Ce postulat de départ établi, la construction d’une habitation peut malheureusement s’avérer ne pas être un long fleuve tranquille : travaux mal réalisés, apparition de désordres, de défauts, de malfaçons, ou pire, de faillites d’entreprises en cours de chantier…
Quelle sera la responsabilité du maître d’œuvre chargé d’une mission complète dans une telle situation ?
Il faut s’attarder sur une importante évolution jurisprudentielle puisque la Cour de Cassation a longtemps considéré qu’avant la réception des travaux, un architecte n’était tenu que d’une obligation de moyen, le maître de l’ouvrage devant dès lors faire la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité[2].
Par un arrêt rendu le 3 octobre 2001, la Cour de cassation avait ainsi cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui avait retenu que l'architecte chargé d'une mission complète de maîtrise d'œuvre avait failli dans l'exécution de sa mission, puisque tant les travaux préconisés que ceux réalisés n'avaient pas donné satisfaction et que sa faute avait concouru à la réalisation du dommage.
La Cour avait décidé qu'en statuant ainsi « par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser la faute de l'architecte qui n'était tenu que d'une obligation de moyens dans l'accomplissement de sa mission, la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil »[3].
Mais, par un arrêt en date du 14 avril 2010, la troisième Chambre civile de la Cour de Cassation a considéré que les motifs selon lesquels la faute de l’architecte ne serait pas caractérisée et que les désordres relèveraient pour certains du bureau d’étude, pour d’autres de l’entreprise, « ne suffisent pas à exclure la faute de l’architecte dès lors que celui-ci est chargé d’une mission complète de maîtrise d’œuvre ». (Cass. 3ème Civ., 14 avril 2010, JurisData n°2010-003915).
Concrètement, selon cet arrêt, cela signifie que l’architecte ou maître d’œuvre chargé d’une mission complète répond des fautes des entrepreneurs
Il n’en est certes pas fait expressément mention, mais cette décision, publiée au Bulletin, semble revenir sur la jurisprudence antérieure pour considérer que l'obligation de l'architecte tenu d'une mission complète relèverait désormais, non plus d’une obligation de moyen, mais d'une obligation de résultat.
Ce dernier ne pourrait dès lors s’exonérer que par la cause étrangère, alors que, tenu d'une obligation de moyens, sa responsabilité est engagée dès lors qu’une faute dans l’accomplissement de sa mission est démontrée.
L’apport de cet arrêt est par conséquent particulièrement important en considération des conditions d'exonération de la responsabilité recherchée sur le fondement de l'article 1147 du Code civil.
Il conviendra de demeurer attentif dans les mois à venir afin de savoir si cette jurisprudence est ou non confirmée.
* * *
[1] S.H.O.N. : surface de plancher d’une construction, sans tenir compte des combles et des sous-sols.
[2] Cour de Cassation, 3ème Civ., 09 oct. 1979, RDI 1980, 67.
[3] Cass., 3ème Civ., 03 oct. 2001, Resp. Civ. et Assur., n°366.