Les époux HP[i] ont confié à la société GATES la construction de leur maison d’habitation selon contrat de construction de maison individuelle. La société GATES a sous-traité les travaux des différents corps d’état aux entreprises suivantes : - Lot Gros Œuvre : société JOBS, - Installations sanitaires et chauffage : société WOZNIAK, - Enduits extérieurs : société WAYNE. Les travaux ont été réceptionnés selon procès-verbal de réception sans réserve en date du 22 avril 2003. Alléguant l’existence de désordres, les époux HP ont fait établir un constat le 7 novembre 2007 par les soins d’un Huissier de Justice, notamment sur le défaut de la chaudière avant de procéder au remplacement de celle-ci en décembre 2007. Par suite, les époux HP ont saisi Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance statuant en référé d’une demande d’expertise au contradictoire de la société GATES, laquelle a été ordonnée selon décision en date du 25 mars 2008. La société GATES a appelé en déclaration d’ordonnance commune les différents sous-traitants. Au terme de son rapport d’expertise définitif, l’Expert a distingué trois types de désordres : - Des fissures apparentes dans les cloisons à l’intérieur de l’habitation, - Des fissures dans l’enduit sur l’ensemble des façades, - Un défaut dans le système de chauffage. C’est dans ces conditions que les époux HP ont saisi le Tribunal de Grande Instance d’une demande tendant à voir la société GATES condamner au paiement des travaux de reprise. Cette dernière a dès lors appelé en intervention forcée et en garantie les sociétés WAYNE, JOBS et WOZNIAK ainsi que la société LOVE ès qualité d’assureur décennal des sociétés JOBS et WAYNE et la société LACE ès qualité d’assureur décennal de la société WOZNIAK. S’agissant du défaut d’installation de la chaudière (les autres désordres feront l’objet d’un prochain article), la société GATES a contesté les prétentions des époux HP rappelant que l’Expert n’a pu faire aucune constatation in situ, ni effectué aucune investigation puisque les travaux de remplacement de la chaudière avaient déjà été réalisés. Cependant, le Tribunal a retenu que si « [l’Expert] n’a pas pu examiner la chaudière, celle-ci ayant été changée en 2007 en raison des désordres susvisés, il a pu déduire des constatations de [l’Huissier de Justice] que le chauffage de l’habitation ne pouvait plus être assuré si bien que le désordre concernait un élément constitutif de l’ouvrage ; que l’absence de chauffage rendait en outre l’immeuble d’habitation impropre à sa destination ». Le Tribunal a ajouté que « le constructeur, qui a procédé à cette installation, est présumé responsable du désordre qui l’affecte ; que cette présomption ne peut être renversée par les seules affirmations de la société [GATES] incriminant un défaut d’entretien de l’installation qui n’est par ailleurs confirmé ni par l’expertise judiciaire ni par tout autre élément technique ; qu’en conséquence, la société [GATES] sera tenue pour responsable des conséquences dommageables du désordre ». La société GATES a par conséquent vu sa responsabilité retenue au titre de la garantie décennale. Par ailleurs, compte tenu de ce que le sous-traitant est tenu envers l’entrepreneur principal de livrer un ouvrage exempt de vices et ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère, les appels en garantie de la société GATES à l’encontre de ses sous-traitants ont prospéré, celle-ci étant dès lors garantie à 100 % des condamnations prononcées à son encontre. * * * Cette décision paraît critiquable, s’agissant du défaut d’installation de la chaudière, en ce qu’elle remet en cause le principe du contradictoire. En effet, le Tribunal a retenu comme seul élément probant les constatations d’un Huissier de Justice, lequel n’est pas un technicien expert et ne pouvait dès lors pas se prononcer sur la non-conformité d’une installation de chauffage, ni sur l’origine du disfonctionnement du chauffage (défaillance de la chaudière, défaut d’entretien, … ?) En outre, l’Expert n’a pas constaté le désordre par lui-même. Au surplus, ces constatations n’ont pas été établies de manière contradictoire par l’ensemble des parties. Dans ces conditions, le Tribunal aurait dû, selon nous, écarter les conclusions de l’Expert reposant uniquement sur le procès-verbal établi par Huissier de justice. Il est en effet constant qu’un tribunal ne peut fonder sa décision uniquement sur une expertise à laquelle la partie défenderesse n’a été ni appelée, ni représentée et que celle-ci argue expressément de l’inopposabilité de ladite expertise (Cass., Civ. 3, 5 décembre 2006, n° 05-20.356), d’autant plus, s’il s’agit d’un constat d’huissier. Un rapport d’expertise encourt la nullité dès lors que l’Expert viole le principe du contradictoire en ne faisant pas lui-même les constatations, en ne convoquant pas les parties aux opérations d’expertise, et en ne les mettant pas en mesure de présenter leurs observations en temps utile (TGI METZ, 07 décembre 2011 – Cf. LA NULLITÉ DU RAPPORT D'EXPERTISE EN CAS DE VIOLATION PAR L'EXPERT DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE). En l’espèce, il est à souhaiter que la souplesse du Tribunal quant au respect du principe du contradictoire ne fasse pas jurisprudence. Il est d’ailleurs regrettable que la valeur du litige ait conduit les parties (notamment le chauffagiste) à s’incliner et à ne pas soumettre celui-ci aux juges d’appel.
[i] Les noms ont été modifiés.