Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Maître Antoine FITTANTE > ANONYME D’UN JOUR, ANONYME DE TOUJOURS!

ANONYME D’UN JOUR, ANONYME DE TOUJOURS!

Le 31 août 2023
ANONYME D’UN JOUR, ANONYME DE TOUJOURS!
Les diffamations, les injures, les incitations à la haine et à la violence en raison de son ethnie, de sa sexualité, de son handicap ou de ses opinions sont légions sur Internet. Les courageux se cachent derrière leurs avatars...

 Par Me Antoine FITTANTE, de la SCP CBF AVOCATS

L’ère du numérique a  indiscutablement contribué à partager des connaissances et du savoir et à rompre l’isolement et la solitude.

À défaut d’avoir des amis près de chez soi, nos avatars ont des amis dans le monde entier.

Toutefois, tout progrès a ses démons et l’Internet et les réseaux ont aussi apporté leurs lots de souffrance sous couvert de la liberté d’expression.

Les mots peuvent faire mal, les mots peuvent tuer.

Sous couvert d’anonymat, l’anonyme viole allègrement la présomption d’innocence en menant à l’échafaud une personne sans même qu’elle n’ait pu se défendre.

Les diffamations, les injures, les incitations à la haine et à la violence en raison de son ethnie, de sa sexualité, de son handicap ou de ses opinions sont légions.

Les courageux se cachent derrière leurs avatars.

Est-il possible de lever l’anonymat pour identifier et poursuivre les auteurs d’abus de la liberté d’expression afin d’obtenir une juste réparation ?

Dans sa réponse en séance publique le 22 février 2023, le ministère précise que l’anonymat n’existe pas.

Il est possible, précise-t-il, dans l’immense majorité des cas pour les autorités publiques, de retrouver l’identité des auteurs d’infractions à partir de ses données de connexion, le ministère se référant aux dispositions de l’article 6 II de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance de l’économie numérique qui impose aux réseaux sociaux de conserver toutes données permettant d’identifier les auteurs des contenus diffusés sur leur service, dont notamment l’adresse IP.

Toutefois, le discours politique n’est pas en adéquation avec les nouveaux textes qui au contraire restreignent l’accès au juge en raison d’une impossibilité juridique dans certaines situations d’identifier les auteurs.

Alors même que les abus commis de manière anonyme explosent, la loi dans son nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale issue de la loi du 2 mars 2022 ne permet désormais de recourir à « des réquisitions portant sur les données techniques permettant d’identifier la source de connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés » que si les nécessités de la procédure l’exigent et pour les procédures portant sur un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement, ou au minimum un an d’emprisonnement si le délit a été commis par l’utilisation d’un réseau de communication électronique.

Or, il n’a pas échappé que les abus de la liberté d’expression non aggravés, diffamation et injures envers particuliers ou envers les autorités, qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement mais d’une amende, la violation de la présomption d’innocence au travers d’accusations de vol, d’escroquerie ou de toute autre infraction, ne peuvent plus donner lieu à des réquisitions aux fins d’identification des données de connexion soit de l’adresse IP qui permet de mettre un nom certain sur l’auteur.

La Cour de cassation a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au motif que ce texte ne fait pas obstacle à la remise des données relatives à l’identité civile de l’utilisateur ou celles fournie par celui-ci au moment de la création du compte.

Anonyme d’un jour, à vrai dire vous le resterez toujours si au moment de l’ouverture du compte a été donné une fausse identité.

Allez poursuivre DUCHEMOL !

Dans une telle hypothèse, seule la communication des données de connexion permettrait d’identifier un auteur.

Ainsi, pour pouvoir faire avancer la justice pénale qui refusera les réquisitions aux fins d’identification dans les procédures qui n’entrent pas dans le champ d’application du texte, il faudra faire preuve d’ingéniosité et pourquoi pas recourir au juge civil.

L’article 6.1.8 modifié par la loi du 24 août 2021 dispose :

«Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne»

Toutefois ce texte donne compétence au président du tribunal judiciaire dans une procédure contradictoire au fond dans les termes des articles 839 et 481-1 du code de procédure civile d’enjoindre en  urgence, à toute personne d’intervenir sur le contenu.

Par ce biais, il serait  possible d’obtenir les données d’identification prévue à l’article 6 de la LCEN.

Est-il possible d’agir en référé ou en procédure sur requête non contradictoire pour obtenir les données d’identification ?

Nonobstant l’article 6.1.8 modifié de récentes décisions vont dans ce sens.

Le 1er février 2023 le tribunal judiciaire de Paris statuant en référé a considéré que ce texte n’interdit pas la faculté pour le juge des référés d’ordonner des mesures  in futurum sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et donc la communication des données d’identification dès lors qu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont peut dépendre la solution d’un litige

A fortiori, la procédure sur requête moins coûteuse et plus rapide est donc toujours possible.

Ainsi, muni des éléments d’identités obtenus, il suffira de les  communiquer au juge pénal pour poursuivre ses investigations sur un auteur identifié dès lors que son identité civile est exacte.

À défaut par contre d’adresse IP  il ne sera pas possible d’identifier l’auteur qui a donné une fausse identité civile.

Aussi, pour les abus de la liberté d’expression non aggravés, l’auteur anonyme pourra continuer à jeter son venin sur la toile en toute impunité !